[PV: Renichou/Rubichou]

Cela fait maintenant deux jours que j'ai rencontré Rubis, et je ne l'ai plus revu, aussi bien lui que son hôte. Bulle, qui avait eu le droit - après m'avoir obligé - à un récit détaillé de ce qu'il s'était passé cette nuit-là, ne pouvait que compatir avec moi. Un doute me hantait. Et si c'était un rêve?
Ou encore plus déprimant, et si Rubis n'avais plus aucune intention d'être mon ami?
J'étais là, à coté de la salle d'art où des étudiants chantaient on ne sait quel air.
Les cours étaient finis pour cette journée, et je me demandais bien ce que je pouvais faire. Entrer dans cette salle, faire connaissance avec ces gens et peut être, faire partie de leur groupe?
Non, je n'avais absolument pas la tête à ça. Ma tête était composée d'un mot, "Rubis".
Je désespérais de moi-même, mais je savais qu'il fallait que j'évacue ça dans un tableau, sinon c'était impossible.
Prenant une grande inspiration, je toquai à la porte. Une fille -de ma taille, les cheveux longs et noirs - m'ouvrit, me demandant ce qu'elle pouvait bien faire pour moi.
Après quelques paroles échangées, j'eus droit à ce que je voulais: Un grand tableau blanc. Les outils de peinture, je les avais déjà.
J'adressai un regard empli de gratitude à la fille et refermai la porte derrière moi.
Maintenant, où peindre? Je tournai la tête à droite et à gauche, et remarquai la pancarte "Bibliothèque" à quelques mètres de moi. J'avais entendu dire que c'était l'endroit le plus calme et le plus vaste de l'école. J'y jetai mon dévolu, me faufilant sans que le bibliothécaire ne me remarque (je bénissais ma capacité innée à passer inaperçue) et m'enfonçais de plus en plus loin entre les étagères, jusque ne plus rencontrer âme qui vive, au bout de la salle, là où les livres les moins lus étaient assemblés.
Je déballai mon matériel, montai mon tableau, me postai devant la fenêtre, et sans plus attendre, me mis à dessiner.
Mes mains allaient çà et là, naturellement, comme si j'avais gravé dans mes pupilles l'apparence de Rubis. Je me déconnectai complètement de la réalité, un sourire apaisé sur le visage.

J'avais un exposé à faire sur un obscur sujet d'histoire de la Magie médiévale, "la condition des mages en Occident du XIème au XXIIème siècle, entre urbanisme et ruralité". Absolument passionnant à mes yeux -mais j'ai tendance parait-il à m'enthousiasmer pour rien- je n'en étais pas moins réduit à consulter des ouvrages relégués tout au fond de la bibliothèque, là où personne ne vas jamais. Suivant les indications fournies par le bibliothécaire, je m'enfonçais das les allées désertes, le sac à l'épaule, consultant les titres des ouvrages pour me repérer. Kumoko allait beaucoup mieux bien qu'encore fatigué et se reposait à sa place favorite: en boule au sommet de mon crâne.
Tout en avançant et en cherchant des livres qui pourraient m'être utiles, je repensais aux deux jours qui venaient de s'écouler. Très calmes. Presque trop. Aucune crise, aucune manifestation de l'être qui me haïssait le plus au monde depuis deux jours. Même quand j'essayais de lui parler, silence radio. À croire qu'il avait disparut. Avec Tetsu, d'ailleurs. Ce dernier point m'inquiétait beaucoup plus, d'ailleurs... J’espérais qu'il ne l'avait pas fait taire définitivement... Même si le fait qu'il lui ait sauvé la vie m'engageait à lui faire confiance, je m'inquiétait quand même. Par habitude. Je m'étais "réveillé " dans ma chambre et sans aucun souvenir, vers 10h du matin. Autant dire que pour ce qui était des cours j'étais assez mal partis, surtout que mon corps était épuisé des efforts fournis pendant la nuit. J'avais dormi le reste de la journée. Résultat: un exposé à préparer pour le lundi suivant et d'autres trucs à faire pour me punir d'avoir séché les cours. Tant pis...

Un bruit parvint à mes oreilles. Dans le silence presque absolu de la bibliothèque j'entendais quelqu'un... Peindre. Ou faire quelque chose qui faisait le même bruit qu'un pinceau sur une toile. Intrigué, je me dirigeais vers cette musique inattendue, et me retrouvais face à... Tetsu!! Et bien vivante, concentrée sur son tableau, ses mouvements avaient une force et une beauté qui illuminaient tout son être. Les gens sont tellement beaux quand ils créent avec leur âme... Je restais là au bout de l'allée de livres à l'admirer, sans oser la déranger mais en même temps très curieux de savoir ce qu'elle pouvait peindre avec tant de passion.

Je m'éloignai un peu du tableau, mesurant les proportions. Parfaites. Mon sourire s'illumina encore plus. Ce tableau, je comptais le garder comme mon petit secret. Impossible de le montrer au modèle, dont la réaction était plus qu'imprévisible.
Bulle, qui se nichait dans mon épaule, se mit à bouger bizarrement, allant jusque me tirer l'oreille.
Je lui lançai un regard boudeur. Il venait de m'ôter toute ma concentration. Je soupirai, regardai autour de moi.
Je sentis ma mâchoire se détacher, tandis que mon regard rencontrait celui azuré d'un Ren, planté à l'autre bout de l'étagère, juste à ma droite. Depuis... Depuis quand était-il là? Je commençais à me demander quel genre de visage je pouvais bien faire, et me mis inconsciemment à rougir. Moi qui ne voulais pas montrer ce dessin, il fallait que ce soit lui! J'inspirai, histoire de retrouver ne serait-ce qu'une partie de ma voix, qui disparaissait quand je me concentrais trop sur quelque chose, et dis:
"Salut, Ren. Ça va bien?"
Je lui adressai un grand sourire, posant mon pinceau et attachant mes cheveux en queue de cheval, me demandant si Rubis me voyait à travers cette paire de yeux.
Logiquement, oui.